samedi, avril 08, 2006

LE DEPART

Ce matin là ces souvenirs affluaient sans que je puisse les contrôler véritablement. Tout ce que je retenais au final, c’est que notre mère nous avait levés plus tôt que d’habitude.

Nous étions en juin 1962, nous sommes arrivés à Bourges le 13 de ce mois, les faits que je relate, se situent au tout début du mois de juin.

Je me souviens précisément du matin blafard de ce presque été algérien, la lumière était blanche sans soleil, et un plafond de nuages gris cachait ce beau ciel bleu violet dont nous avions l’habitude.

Le petit déjeuner était prêt sur la table, les tranches de pain grillées presque carbonisées attestaient de l’étrangeté de la situation.
La cuisine semblait déserte en raison de cette famille silencieuse réunie autour de la table. Je ne me souviens même plus du bruit des bols et des cuillères, ni des paroles qui d’habitude s’échangeaient bruyamment.

Le regard plongé dans mon bol, je revoyais les moments passés en famille dans cette cuisine.Mes pensées allaient à cette soirée où ma mère apprenait à ma tante Paulette (une bisontine qui avait épousé mon oncle Manuel lors du passage de ce dernier à Besançon pendant la deuxième guerre mondiale), la préparation de l’omelette aux pommes de terre, la tortilla.

Maman, la taille serrée dans son tablier de grosse toile bleue dont elle entourait deux fois les ganses autour d’elle, expliquait calmement comment cuire les pandeterre (maman ne disaient jamais pommes de terre mais pandeterre), et les oignons, dans une quantité d’huile suffisante pour éviter de brûler les aliments et permettre de garder une poêle grasse sans excès prête à recevoir les œufs le moment venu.

Nous nous tenions debout autour de la grosse cuisinière en fonte grises, serrés autour de l’opératrice en omelette. La lumière blanche de l’ampoule se reflétait sur la hotte laquée de peinture vert pale et donnait une brillance et un éclat particuliers à nos visages. Les lunettes de mon oncle Manuel se découpaient sur son visage renforçant l’acuité de son attention. Les cheveux frisés de ma tante s’évanouissait dans l’atmosphère surchauffée de la pièce.

Maman nous précisait comment Il fallait ensuite laisser cuire l’ensemble doucement sans y toucher pour que se forme la base bien cuite de l’omelette qui permettrait de la retourner sans problème.

C’était ensuite l’opération la plus délicate, le retournement de l’omelette.
Cette opération se faisait à l’aide d’un couvercle que l’on posait sur la poêle. La difficulté consistait à retourner la poêle déposer l’omelette sur le couvercle et dans le même mouvement la re-déposer, coté non cuit dans la poêle
Les mouvements devaient être parfaitement coordonnés, la main gauche devait fermement tenir le manche de la poêle pour la remettre rapidement en position horizontale, la main droite devait tout en souplesse assurer la stabilité de l’omelette sur le couvercle et la faire glisser dans la poêle. .
Sous mes yeux ébahis et le regard admiratif de Paulette, Maman réussissait une fois de plus l’opération « retournement de la tortilla » tandis que tonton Manuel s’exclamait avec son fort accent :

- Ah Ah tu vois ! ça c’est une omelette !
Je les revoyais tous rire aux éclats autour de la cuisinière regardant l’omelette maintenant retournée et parfaitement cuite, le mélange moelleux de pommes de terre et d’oignons attendant d’être dégusté sous la croûte dorée d’œufs bien cuits.

En sortant de cette cuisine autrefois si joyeuse et aujourd’hui synonyme de tristesses, un rapide tour dans les pièces de la maison, me permit de fixer une dernière fois le bureau, les étagères cosy au-dessus du petit canapé d’angle, la collection d’Ivanhoé aux livres à la tranche verte barrée de doré.

Je regardais encore une fois l’immense bureau massif en bois rouge, et le carillon Westminster fixé sur le mur.

Le bureau comprenait une cheminée dans l’un de ses angles, cheminée que nous utilisions quelquefois les dimanches d’hiver après le repas.
Un feu vif de planches brûle, nous sommes accroupis devant l’âtre fascinés par les flammes, et la voix de notre mère nous dit :

- Ne regardez pas trop le feu vous allez faire pipi au lit

Dans ma chambre j’ouvrais une dernière fois le rabat de mon petit secrétaire pour y ranger des soldats de plombs en pensant, je ne sais pourquoi, qu’Ali Bou Basla mon concurrent direct à la première place du classement de la classe de CM1 viendrait jouer avec.

Cette pensée bizarrement ne m’attristait pas, je me disais que c’était peut être un moindre mal.

Aucun commentaire: