samedi, avril 08, 2006

LA PETITE TABLE CARREE DE DAMIANA

Mon sommeil de premier exil fut accompagné de ces souvenirs me ramenant vers celles qui étaient restées à Aïn-El-Arba. Bercé par ces pensées nostalgiques mais heureuses je m’endormis enfin dans les hangars du port d’Oran.

Les rêves de cette nuit furent tout aussi heureux. Je restais sur cette nuit d’orage emporté par les dialogues chuchotés de Maman et Mathilde. Les approbations bruyantes de Tcha Tche ponctuaient la conversation.

Les murs du bureau s’effacèrent doucement dans le sommeil. Le carillon au-dessus du bureau, les livres de la collection vert et or du cosy, la cheminée éteinte semblaient flotter. Les couleurs du tapis marocain de la petite table autour de laquelle nous étions réunis dans cette nuit de crainte et d’espoir se mêlaient dans un tourbillon étincelant.

Le tourbillon s’accéléra pour se fondre dans le visage de ma Grand-mère Damiana morte alors que j’avais à peine trois ans.

Je conservais deux photos de Cette vieille dame. L’une où elle est surprise dans la basse cour, l’air absent, une badine de bois sauvage à la main. Son regard profond passait largement au dessus du photographe, elle regardait loin devant, au-delà de tout. L’autre, où, le cœur déchiré, elle tient par les épaules alors que je pleur, le visage déformé par les larmes. Je tiens dans les mains la housse de cuir de l’appareil. Un photographe cruel avait cru pouvoir me le faire prendre pour l’appareil photo lui-même Il espérait obtenir ainsi, à bon compte, ma collaboration à l’immortalisation de cet instant.
Ma grand-mère me regarde droit dans les yeux. Elle était assise à la petite table carrée sur laquelle elle prenait un repas toujours frugal. Au cours de ces repas nous échangions en nous regardant sans parler. Ces têtes à têtes muets nous rapprochaient. J’étais fier d’être en sa compagnie. De ces moments de grâce, mon rêve me rapportait le fumet d’une soupe blanche aux amandes et le goût acidulé d’une boisson d’eau additionnée de vin rouge.

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