mercredi, avril 12, 2006

LA CARTE DU JEU

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samedi, avril 08, 2006

LES MACARONIS DE TCHA TCHE

C’est dans cette même salle à manger que mon frère Jean, au mépris des avertissements paternels avait continué à se balancer sur une chaise devant la double porte vitrée et avait fini la tête dans la menuiserie et les petits carreaux déclenchant la colère parentale.
Tcha Tche notre grand-oncle maternel s’était lui aussi illustré dans cette pièce en laissant tomber dans un magnifique plat de macaronis gratinés une bouteille qui s’y était brisée en mille morceaux.
Le plat jeté à la poubelle, laissant les convives sur leur faim, Tcha Tche s’était juré de ne plus jamais toucher à un plat de macaronis.

L'ARABE FOU ET LES HIRONDELLES SOUS L'ORAGE MENACANT

Les fins d'été orageuses, nous ravissaient. L'après midi radieuse de lumières, se transformait soudain, alors que la chaleur nous brulait encore quelques minutes plus tot, en soirée d'un gris sombre aux contrastes improbables.
Sous un ciel de nuages menaçants auxquels le soleil donnait des teintes étonnantes de gris et de violet profond, nous regardions voler, de plus en plus bas, les hirondelles dont les cris aigus nous remplissait de joie, et dont les plumes frolaient nos cheveux à chaque passage.
Dans ce décor irréel, nous courrions en criant dans la rue, passant d'un trottoir à l'autre, tenant à la main d'immenses rameaux d'épines blanches pour essayer d'y clouer un vol d'hirondelles.
Ce jeu cruel était l'objet d'un enjeu macabre dont sortait vainqueur celui qui accrochait les premières gouttes de sang sur son bouquet d'épines.
Image étrange du souvenir de cet après midi d'aout algérien, un cheval lancé au galop dans la rue se superpose, sans que je ne puisse assurer s'il est partie de la réalité ou s'il est hérité de rêves ultérieurs.
Des groupes d'enfants supportent de leurs cris, chacun dans leur langue, les héros de leur communauté. Une petite fille, le visage couvert de marques de henné, la chevelure rouge cuivre traversée par les bourrasques d'un vent de plus en plus violent me regarde de ses yeux dont la noirceur annonce la pluie imminente.
Lancé à la poursuite du cheval, un arabe fou de notre voisinage est violemment interpellé par des hordes d'enfants.
Il s'arrête et engage avec nous une conversation dont je ne saisis pas le sens. Bientot, il est la risée de tous et je comprend qu'on cherche à lui faire croire qu'une souris au quel qu'autre animal est entré dans ses vêtements.
Le visage ravagé par la peur il se déshabille en hate, charchant à chasser l'animal imaginaire.
Des femmes sortent en hurlant des maisons avoisinantes pour le protéger de nos jeux, et vilipender notre cruauté d'enfants stupides.
Les hirondelles crient de plus en plus forts comme pour venir en aide à ces mères choqués de notre comportement, le vent souffle de plus en plus, et la pluie rageuse vient mettre un terme à cette folie d'un après midi d'été.

UNE CORRIDA SUR DES CHAISES

LE SAPIN DE NOEL

DEVANT LA MAISON

Le seuil de la maison, était souvent pour moi un lieu d’apprentissage et de découverte. Les jeudis matins, j’accompagnais souvent ma mère à la porte alors qu’elle allait ouvrir au facteur ou raccompagnait quelque visiteur venu pour traiter des affaires de l’entreprise paternelle.
Le facteur, un algérien à la mine rubiconde et au regard perçant, nous livrait toujours ses analyses sur la situation de l’Algérie.
Je me rappelle ce matin où la voix rythmée par le roulement des r de son accent il avait dit, en nous regardant fixement de ses yeux gris qui semblaient vibrer alors qu’il déroulait son argumentation :
- l’Algérie c’est comme un poulet rôti, y’en a un qui dit moi je veux la cuisse, l’autre qui dit moi aussi, l’autre y veut l’aile, un autre le blanc, et finalement le pauvre poulet rôti il est esquinté, chacun y veut un bon morceau !

Ses analyses imagées me donnaient à réfléchir et je cherchais comment il pouvait parvenir à imaginer ces exemples pertinents que je n’avais jamais entendus jusqu’alors. Ma conception des choses et des gens était heurtée par la justesse des propos dans la bouche de ce modeste facteur, fonctionnaire souvent cité comme un modèle d’intégration dans cette société franco algérienne que nous défendions contre tout mais dont l’avenir était de plus en plus difficile à imaginer avec les événements.
A l’inverse, les visites du banquier ou du comptable me laissaient des sentiments plus difficiles à cerner.La visite du comptable, Monsieur Benacoca, signifiait pour ma mère de longues heures passés assise au bureau à compulser dans tous les sens des liasses de papier correspondant aux obligations sociales et fiscales que mes parents tenaient à respecter. Dans ces moments, la silhouette fine de maman, toujours serrée dans un tablier qui accentuait son aspect frêle et fragile, se courbait sous ses épaules qui semblaient porter la charge des obligations financières que des marchés aléatoires et des clients pas toujours réguliers mettaient hors d’atteinte. Pour elle cela signifiait de longues heures de travail à sa machine à coudre pour compléter les rendements irréguliers de l’activité de maçonnerie de mon père.
Un matin alors que nous étions tous les deux devant le pas de la porte, le banquier de l’entreprise s’était arrêté pour une discussion interminable dont je ne comprenais pas la moitié des mots.
Ma mère semblait soucieuse et le banquier mal à l’aise. Cet homme grand et anguleux au regard vague derrière de grandes lunettes se tenait face à nous dans son costume gris. Il se balançait sur ses longues jambes ramenant sans arrêt en arrière ses cheveux que le vent rabattait sur ses yeux. Il fumait cigarette sur cigarette en les tenant entre son annulaire et son majeur couvrant son visage de sa main à chaque bouffée qu’il aspirait avec un bruit sourd de respiration. Excédé par sa propre respiration il agitait frénétiquement sa boite d’allumettes dans sa main libre comme s’il voulait couvrir la conversation par le bruit qu’elle produisait.
Soudain il la lança au loin sur le trottoir, je me précipitais pour la ramasser mu par je ne sais quelle intention et au moment ou j’ouvrais la boite j’entendis sa voix me dire :

- Non ! laisse les, elles sont usées !

Je constatais en effet que toutes les allumettes de la boite étaient brûlées.
Après cet incident il remonta dans sa voiture et nous quitta sans nous dire au revoir.
Je devais apprendre plus tard que cet employé indélicat avait été à l’origine de difficultés financières pour mes parents dont il gérait les comptes avec une conception particulière de l’intérêt des clients qu’ils étaient.

LE COUVRE FEU

Un soir, alors que ce cérémonial avait pris fin, et que les bruits autour de la maison s’étaient stabilisés puis estompés dans le noir, frottements non identifiés, passage assourdi de groupes furtifs dans le lit de l’oued, glapissements lointains de chacals, un orage violent éclata sur le village anesthésié sous le couvre feu.

Nous étions restés immobiles dans le couloir avec ma mère et mon oncle, attentifs une dernière fois, attendant le moment de prendre notre infusion du soir pour rejoindre nos chambres.
Dans cet univers de sons étouffés sous la pluie, le ronronnement régulier d’un moteur montait dans la nuit. Il se rapprochait inéluctablement de la maison devant laquelle il s’arrêta dans un dernier hoquet.

Cet événement inattendu nous interrompit dans notre veille, et nous fit oublier notre infusion qui attendait sur la petite table du bureau.

Nous n’étions que trois dans la maison, mon père travaillait dans le sud, mes frères étaient au collège à Oran sauf mon frère aîné qui effectuait son service militaire à Teniet El Hadj dans l’Ouarsenis.

En file indienne, ma mère Tcha Tche et moi fermant la marche, nous nous rapprochions au plus près de la porte et attendions que le conducteur du véhicule se manifeste.

Une vois assourdie nous parvint au travers de la porte et de l’épais rideau de black out :

- c’est Mathilde !

Aussitôt ma mère se précipita pour ouvrir et refermer la porte, juste le temps nécessaire pour permettre à Mathilde de rentrer rapidement et discrètement dans la maison.

L'HUILE DE FRITURE DE TCHA TCHE

Dehors, Il faisait très chaud bien qu’il soit déjà plus de 18h00. Le soleil rasant entrait par la fenêtre au-dessus de l’évier dont il jouait avec la céramique blanche pour inonder la pièce de sa lumière crue.

Deux bouteilles de verre remplies de l’huile de friture que l’on filtrait après usage étaient posées devant la fenêtre et magnifiaient les rayons du soleil d’un jaune verdâtre.

De retour d’une tournée mémorable avec son ami Damian, Tcha Tche, mon grand oncle maternel, encore sous le coup de la soif malgré les nombreuses anisettes ingurgités avait vu dans ces bouteilles, dont la couleur sombre lui disait qu’elles devaient contenir du vin, le moyen de finir en beauté le marathon alcoolisé du dimanche. Ce n’est qu’à mi bouteille que ses papilles ont transmis à son cerveau embrumé le signal lui précisant qu’il venait d’avaler un demi litre d’huile de friture.
Cette purge auto administrée, dont les conséquences furent quasi immédiates, fait encore rire toute la famille aux dépens de notre grand-oncle fantasque

LES SECRETS DE L'ARMOIRE

SUR LE TOIT DES BELDA

LA HACHE BRISEE

LA CHAMBRE DES PARENTS

LA FOURCHE DE TCHA TCHE

Dans la maison d’Aïn-El-Arba, j’imaginais Maman seule avec Tcha Tche et Mathilde.
Tcha Tche, comme à son habitude depuis quelques mois, avait du bloquer la porte principale avec une fourche.
Cette pratique ne soulevait guère d’enthousiasme mais faisait partie des initiatives intempestives auxquelles notre grand-oncle nous avait habitués. J’avoue que nous autres enfants, nous les regardions avec un œil bienveillant. Il n’hésitait jamais à nous solliciter pour leur mise en œuvre, considérant que cela aussi faisait partie de son apport personnel à notre éducation.

La théorie de Tcha Tche est qu’une fourche de cette taille qui tombe sur le carrelage sous la poussée d’un envahisseur mal intentionné provoque un tel raffut dans la nuit, qu’elle constitue à coup sur la meilleure des alarmes et le meilleur des repoussoirs contre les intrus.
(SUITE DANS LE POST "LE COUVRE FEU")
Dans cet enchaînement de mouvements brusques, la fourche était tombée sur le carrelage faisant un raffut propre à réveiller ceux qui ne l’étaient pas encore.
Cette bourde supplémentaire fut aussitôt mise à l’actif de notre grand-oncle.

UNE SURPRISE PARTIE A LA MAISON

Sous la treille, Jean mon frère aîné, officiellement fiancé à Mathilde, organisait quelquefois des surprises parties avec l’assentiment des parents. Le sol de terre blanche éclatant sous la lumière artificielle, les dessins réguliers tracés méticuleusement à la boucharde à rouleau sur le ciment des bordures, la nuit qui se découpait au travers des feuilles de la vigne, l’odeur fraîche du vent qui dans l’obscurité semblait monter le long des ceps à l’écorce ridée, tout contribuait, ces soirs là, à faire chanter la musique d’une façon indescriptible, et à pousser nos éclats de rire dans le soir.
La chambre attenante, dont la fenêtre était ouverte, abritait le tourne disques, on disait aussi le pick up. Bien qu’officiellement interdits de séjour dans ces divertissements pour grands, mon frère Damien et moi y assistions cachés à plat ventre sous l’un des lits, poussant même notre audace jusqu’à débrancher le tourne disques aux moments les plus intenses de la fête.
Pour être franc, je dois préciser que j’avais quelquefois un rôle dans ces fêtes. Ma future belle sœur insistait souvent pour que j’interprète devant l’assemblée, la chanson El Beso en España.
Cette chanson décrit comment la femme espagnole use du baiser comme le symbole de son attachement à l’amour véritable. Un baiser que l’on ne donne jamais par hasard mais uniquement lorsque l’on a rencontré l’homme que l’on aime.
Ces paroles que je ne comprenais pas vraiment, suscitaient des rires nerveux lorsque je les chantais et surtout l’ironie des adultes devant la naïveté du chanteur.
A l’époque, Joselito, l’acteur et l’enfant à la voix d’or jouissait d’un grand succès. Mes parents de culture espagnole écoutaient ses chansons, et celles des grands de la chanson espagnole, Manolo Escobar, Juanito Valderrama, mais aussi Gloria Lasso et Los Marcelos Ferial avec leurs reprises de Cuando calienta el sol, et de el Berebito.

Mon père, lui, de sa voix forte et bien placée, nous enchantait en reprenant la chanson El emigrante dont on savait qu’elle le faisait vibrer tant elle lui rappelait sa propre histoire.
Une main grande ouverte devant ses yeux, l’autre qui balayait l’espace devant lui, il plissait son front pour chanter :

- Cuando salí de mi tierra, volví la cara llorando, porque lo que más queria atras me lo iva dejando

(quand j’ai quitté ma terre, j’ai tourné la tête en pleurant, tout ce que je désirais le plus au monde, le l’abandonnais derrière moi !)

Il marquait à ce moment là, entre chacun des vers, un silence, comme hésitant à prononcer ces mots graves et lourds de sens.

Toutes ces chansons constituaient le répertoire familial, que nous connaissions par cœur et chantions à tue tête avec nos parents lors des déplacements en voiture.
Bien entendu, lors de ces surprises parties, les musiques nostalgiques cédaient rapidement la place aux rythmes à la mode, le rock’n’roll et le twist.
A l’occasion de ces surprises parties, nous avions découvert avec intérêt les talents de twister de notre cousin Christian.
Un genou à terre, ses jambes maigres serrées dans un pantalon bleu marine, il laissait onduler son autre jambe au rythme de la musique tandis que ses bras et sa tête s’agitaient à contretemps.
Sous les applaudissements, il reprenait à l’envie sa démonstration.

MA PREMIERE BOUTEILLE D'HEPAR

LA TORTUE A BU DE LA THEREBENTHINE

LES FLECHETTES MAISON

MES PARENTS ET LE BEBE INCONNU

LA PHOTO A L'ETUI

Les couleurs du tapis marocain de la petite table carrée du bureau me ramenait à ma Grand-mère Damiana morte alors que j’avais à peine trois ans.

Cette vieille dame dont mes seules images sont deux photos, l’une où elle est surprise dans la basse cour, l’air absent, une badine de bois sauvage à la main, l’autre, où elle assiste le cœur déchiré à l’expression de ma contestation face au photographe cruel qui avait cru pouvoir me faire prendre la housse en cuir pour l’appareil photo lui-même, et obtenir ainsi à bon compte ma collaboration à l’immortalisation de l’instant.
Un tête-à-tête muet sur la table carrée du bureau dans lequel elle se réfugiait pour prendre un repas toujours frugal, me rapporte le fumet d’une soupe blanche aux amandes, la couleur d’un tapis marocain vert et rouge, et le goût acidulé d’une boisson d’eau additionnée de vin rouge.

LE PECHER

Mme RENEE LA COMMERCANTE

Rapidement je rassemblais dans ma mémoire les moments, trop courts hélas, qui m’avaient rapproché de ce frère.

J’évoquais sa communion qui nous avait permis, l’année précédente, de nous retrouver tous en famille une dernière fois dans la maison.

L’après midi de ce dimanche nous avions inventé ces dernier jeux au cours desquels Damien m’avait convaincu que chez les cow-boys il y avait des shérifs et des bandits, et que le rôle de cow-boy, ou le rôle du « jeune homme » ce héros attachant des westerns, avait leur contrepartie.

Mon petit cousin Lucien, voulait lui à tout prix être un indien malgré les tentatives désespérées de ses frères pour le raisonner et l’amener à comprendre que quelque part les indiens étaient des sortes de fellaghas, et que vouloir jouer ce rôle, en ces moments troubles, n’était peut être pas la meilleure idée.
C’est au cours de ce même après midi que notre cousine Denise avait décidé de s’appeler Mme Renée une honorable commerçante et que Monique elle préférait le sobriquet de Sassafinda, une interpellation intraduisible que ma tante Lucia attribuait aux jeunes filles remuantes de la famille pour caractériser leurs allures intrépides et leur langue bien pendue.

LES BOUILLA CRAMANOUS

Mes parents avaient acheté le 29 août 1950, un terrain de 8 ares, sur lequel était construite une petite maison carrée dont la surface étaient divisée en 4 pièces identiques. Cette bâtisse avait été agrandie vers l’est par l’ajout d’une superficie identique qui abritait les pièces de jour. L’ancienne et la nouvelle construction étaient séparées par un corridor. Attenant à la maison une treille protégeait la façade sud, et était prolongée par un jardin et un poulailler, le reste du terrain servait à entreposer le matériel de l’entreprise de maçonnerie de mon père.
L’occupation du terrain laissait à notre discrétion une part importante de la cour dont nous avions découpé l’espace selon des règles édictées par les bouya cramanous une tribu imaginée par notre frère Sébastien dont nous devions respecter les coutumes et nous soumettre à la Loi.
(SUITE BLOG danslaplainedela mleta.blogspot.com)
Il était loin le temps où je l’accompagnais sur la place de la Mairie attendre le cri de la sirène marquant la fin du jeune dans les jours de Ramadan.
Le fils du propriétaire de la station service, le jeune B, un autre brillant élève de la classe de CM1, était en but aux moqueries de ses camarades qui lui reprochaient de trop ressembler à un français. Avec ses pantalons de flanelle sur ses chaussures de cuir et ses cheveux savamment peignés.
Du fait de l’évolution de la situation, des perspectives d’indépendance de l’Algérie, nous étions tenus de respecter une obligation d’appartenance.
Les français avec les français, les arabes avec les arabes pour reprendre une expression qui avait cours alors. Cette atmosphère nouvelle objective ou suggérée, est illustrée par deux souvenirs qui reviennent de façon précise.
Nous étions beaucoup moins libres les jours où il n’y avait pas classe, et les jeux dans la vallée de la mort où nous imaginions les aventures d’une tribu mythique appelés les Bouya Cramanou ne trouvaient plus grâce aux yeux de nos parents. De ce fait l’une des épreuves permettant d’être digne des Bouya Cramanou ne pouvait plus se dérouler. Ces 3 épreuves consistaient à sauter à pieds joints d’une rive à l’autre de la Vallée de la mort, faire frère de sang avec un autre Bouya Cramanou, manger une crotte de nez.

LES PHOTOS DES ANCETRES

LE COEUR DES BILLES AGATHES

NOUS COUPONS DES BRANCHES AVEC HENRIETTE ET SON MARI

LA BALANCOIRE DANS UN COFFRAGE

LE BOURRICOT DANS LA COUR

LE GENERAL MASSU ET MA PREMIERE COMMUNION

LE TELEPHONE A FIL

LES SAPINS DE L'EGLISE

LA NOUVELLE CROIX

Un été de l’année 1959, mon père et son jeune frère Melchior, entreprirent la rénovation du caveau familial.
Le calendrier moins chargé de l’entreprise de maçonnerie paternelle, les « événements » empêchant d’accepter des chantiers éloignés rendus dangereux par les distances à parcourir sur des routes désertes, rendaient enfin possible la réalisation de ces travaux longtemps différés.
Avec mon frère et plusieurs de mes cousins, nous avions été requis pour participer à cette noble tâche ce qui nous enchantait à l’avance.
Le projet ambitieux d’une croix en béton décorée de faïences brisées du plus bel effet, constituait le clou de cette rénovation.
Macabre pour certains, cette préoccupation d’entretien de la maison de nos morts en 1959 témoignait d’un bel optimisme, ou du moins d’une volonté avérée de braver les augures.

Mon oncle Melchior avait rempli d’eau un fut métallique dans lequel je devais laver les faïences récupérées pour en enlever les fragments de ciment.
Sur un madrier de bois, je devais ensuite briser chaque carreau avec un marteau pour, selon les conseils avisés de mon oncle, obtenir des morceaux capable de s’insérer dans l’œuvre en cours de réalisation.
Il avait lui même réalisé un coffrage de bois à même le sol et coulé le ciment sur les ferrailles constituant l’ossature de la croix.
Pour assurer la solidité de l’ensemble, les angles droits de la croix avaient été brisés ce qui allait conférer à l’ouvrage une spécificité que les exégètes familiaux qualifieraient plus tard de profondément mystique.

Des années après ces événements, je m’interroge sur l’enthousiasme mâtiné d’abnégation dont ils avaient témoigné pour fabriquer cette croix dont des photos prises en 1970 témoignent à la fois de la solidité et certainement du respect interrogatif que la construction aux angles brisés avaient du susciter chez les pilleurs de tombes.

SAÏD ET LES TRAVAUX DANS LE COULOIR

LA MACHINE ERKA

Je cherchais qui se trouvait dans la maison, Ma mère toujours présente dans l’une ou l’autre des pièces, souvent dans le bureau où se tenait sa machine à coudre, ou Ouafya notre bonne algérienne m’accueillait généralement.

Mes arrivées dans la maison étaient toujours tonitruantes, je voulais signaler ma présence en criant
- Maman ! Maman !

Une fin d’après midi, qu’elle se tenait dans l’une des chambres dont les fenêtres donnaient sur la treille, s’escrimant à faire fonctionner la machine à tricoter ERKA que sa sœur lui avait laissée à son départ de France.
Mes cris enthousiastes avaient provoqué une telle inquiétude, qu’elle avait planté là, les poids qui tendaient le tricot en cours, et les diminutions qui devaient donner au raglan qu’elle fabriquait cette courbe élégante sur les épaules.
En se précipitant vers moi, elle avait constaté que j’étais bien portant et que rien dans mes hurlements ne laissait présager l’annonce d’une catastrophe.
Déçu de la façon dont elle accueillait mes initiatives dont j’avais longuement préparé les effets sur le chemin de l’école, je me réfugiais dans la cuisine.
J’y retrouvais la sérénité propice aux réflexions qui traversaient mon jeune cerveau dont je découvrais les innombrables possibilités.

LE DEPART

Ce matin là ces souvenirs affluaient sans que je puisse les contrôler véritablement. Tout ce que je retenais au final, c’est que notre mère nous avait levés plus tôt que d’habitude.

Nous étions en juin 1962, nous sommes arrivés à Bourges le 13 de ce mois, les faits que je relate, se situent au tout début du mois de juin.

Je me souviens précisément du matin blafard de ce presque été algérien, la lumière était blanche sans soleil, et un plafond de nuages gris cachait ce beau ciel bleu violet dont nous avions l’habitude.

Le petit déjeuner était prêt sur la table, les tranches de pain grillées presque carbonisées attestaient de l’étrangeté de la situation.
La cuisine semblait déserte en raison de cette famille silencieuse réunie autour de la table. Je ne me souviens même plus du bruit des bols et des cuillères, ni des paroles qui d’habitude s’échangeaient bruyamment.

Le regard plongé dans mon bol, je revoyais les moments passés en famille dans cette cuisine.Mes pensées allaient à cette soirée où ma mère apprenait à ma tante Paulette (une bisontine qui avait épousé mon oncle Manuel lors du passage de ce dernier à Besançon pendant la deuxième guerre mondiale), la préparation de l’omelette aux pommes de terre, la tortilla.

Maman, la taille serrée dans son tablier de grosse toile bleue dont elle entourait deux fois les ganses autour d’elle, expliquait calmement comment cuire les pandeterre (maman ne disaient jamais pommes de terre mais pandeterre), et les oignons, dans une quantité d’huile suffisante pour éviter de brûler les aliments et permettre de garder une poêle grasse sans excès prête à recevoir les œufs le moment venu.

Nous nous tenions debout autour de la grosse cuisinière en fonte grises, serrés autour de l’opératrice en omelette. La lumière blanche de l’ampoule se reflétait sur la hotte laquée de peinture vert pale et donnait une brillance et un éclat particuliers à nos visages. Les lunettes de mon oncle Manuel se découpaient sur son visage renforçant l’acuité de son attention. Les cheveux frisés de ma tante s’évanouissait dans l’atmosphère surchauffée de la pièce.

Maman nous précisait comment Il fallait ensuite laisser cuire l’ensemble doucement sans y toucher pour que se forme la base bien cuite de l’omelette qui permettrait de la retourner sans problème.

C’était ensuite l’opération la plus délicate, le retournement de l’omelette.
Cette opération se faisait à l’aide d’un couvercle que l’on posait sur la poêle. La difficulté consistait à retourner la poêle déposer l’omelette sur le couvercle et dans le même mouvement la re-déposer, coté non cuit dans la poêle
Les mouvements devaient être parfaitement coordonnés, la main gauche devait fermement tenir le manche de la poêle pour la remettre rapidement en position horizontale, la main droite devait tout en souplesse assurer la stabilité de l’omelette sur le couvercle et la faire glisser dans la poêle. .
Sous mes yeux ébahis et le regard admiratif de Paulette, Maman réussissait une fois de plus l’opération « retournement de la tortilla » tandis que tonton Manuel s’exclamait avec son fort accent :

- Ah Ah tu vois ! ça c’est une omelette !
Je les revoyais tous rire aux éclats autour de la cuisinière regardant l’omelette maintenant retournée et parfaitement cuite, le mélange moelleux de pommes de terre et d’oignons attendant d’être dégusté sous la croûte dorée d’œufs bien cuits.

En sortant de cette cuisine autrefois si joyeuse et aujourd’hui synonyme de tristesses, un rapide tour dans les pièces de la maison, me permit de fixer une dernière fois le bureau, les étagères cosy au-dessus du petit canapé d’angle, la collection d’Ivanhoé aux livres à la tranche verte barrée de doré.

Je regardais encore une fois l’immense bureau massif en bois rouge, et le carillon Westminster fixé sur le mur.

Le bureau comprenait une cheminée dans l’un de ses angles, cheminée que nous utilisions quelquefois les dimanches d’hiver après le repas.
Un feu vif de planches brûle, nous sommes accroupis devant l’âtre fascinés par les flammes, et la voix de notre mère nous dit :

- Ne regardez pas trop le feu vous allez faire pipi au lit

Dans ma chambre j’ouvrais une dernière fois le rabat de mon petit secrétaire pour y ranger des soldats de plombs en pensant, je ne sais pourquoi, qu’Ali Bou Basla mon concurrent direct à la première place du classement de la classe de CM1 viendrait jouer avec.

Cette pensée bizarrement ne m’attristait pas, je me disais que c’était peut être un moindre mal.

LE COSY BIBLIOTHEQUE

LE DERNIER SEJOUR DE TONTON RAYMOND

C’est en octobre 196O je crois, que notre maison accueillait la dépouille d’un autre oncle, Raymond, emporté par la maladie, le mari d’une sœur de ma mère à laquelle nous étions très attachés.
La conduite que je devais adopter face à mes cousins touchés par un événement dont la possible survenance restait pour moi l’une des plus grandes terreurs reste le souvenir le plus frappant de cet événement.

Pour éviter de mobiliser un lit occupé par un vivant, la salle à manger des jours de fête et de liesse avait été dressée en salon funéraire, je me souviens dusoleil éclatant de ce jour là.
Mon grand oncle Melchior avait été réquisitionné pour déménager les meubles afin de pouvoir installer le cercueil face à la porte de cérémonie, une double porte battante souvent condamnée qui donnait dans le couloir de l’entrée principale.

Mes plus jeunes cousines âgées de deux et trois ans
Semblaient toujours marquer un temps d’arrêt devant cette porte bien longtemps après l’événement, qui leur avait été présenté comme un voyage chez tata Denise pour adoucir la cruauté de la nouvelle.
La plus jeune, lorsqu’elle pénétrait dans la pièce et qu’elle y voyait une salle à manger, marquait une pause et semblait toujours chercher le lit dont elle avait conservé l’image dans son souvenir comme si cela n’avait été qu’un rêve troublant dont elle cherchait à effacer les traces.

LE DERNIER REPAS DE NOEL

LA PETITE TABLE CARREE DE DAMIANA

Mon sommeil de premier exil fut accompagné de ces souvenirs me ramenant vers celles qui étaient restées à Aïn-El-Arba. Bercé par ces pensées nostalgiques mais heureuses je m’endormis enfin dans les hangars du port d’Oran.

Les rêves de cette nuit furent tout aussi heureux. Je restais sur cette nuit d’orage emporté par les dialogues chuchotés de Maman et Mathilde. Les approbations bruyantes de Tcha Tche ponctuaient la conversation.

Les murs du bureau s’effacèrent doucement dans le sommeil. Le carillon au-dessus du bureau, les livres de la collection vert et or du cosy, la cheminée éteinte semblaient flotter. Les couleurs du tapis marocain de la petite table autour de laquelle nous étions réunis dans cette nuit de crainte et d’espoir se mêlaient dans un tourbillon étincelant.

Le tourbillon s’accéléra pour se fondre dans le visage de ma Grand-mère Damiana morte alors que j’avais à peine trois ans.

Je conservais deux photos de Cette vieille dame. L’une où elle est surprise dans la basse cour, l’air absent, une badine de bois sauvage à la main. Son regard profond passait largement au dessus du photographe, elle regardait loin devant, au-delà de tout. L’autre, où, le cœur déchiré, elle tient par les épaules alors que je pleur, le visage déformé par les larmes. Je tiens dans les mains la housse de cuir de l’appareil. Un photographe cruel avait cru pouvoir me le faire prendre pour l’appareil photo lui-même Il espérait obtenir ainsi, à bon compte, ma collaboration à l’immortalisation de cet instant.
Ma grand-mère me regarde droit dans les yeux. Elle était assise à la petite table carrée sur laquelle elle prenait un repas toujours frugal. Au cours de ces repas nous échangions en nous regardant sans parler. Ces têtes à têtes muets nous rapprochaient. J’étais fier d’être en sa compagnie. De ces moments de grâce, mon rêve me rapportait le fumet d’une soupe blanche aux amandes et le goût acidulé d’une boisson d’eau additionnée de vin rouge.

LE BUREAU

LA COMMUNION DE DAMIEN

LA DOUBLE BOUTEILLE DE GAZ ET LE DETENDEUR AUTOMATIQUE

MARIE JOSE ET LES JEUX DE LA TREILLE

Sur la droite, passée le pignon sud, on devinait le jardin séparé de la maison par une treille qui protégeait de la chaleur la façade intérieure sur laquelle donnaient deux chambres, la cuisine et la salle de bains.
Les fenêtres de ces chambres étaient percées suffisamment bas pour que l’on puisse sans problème sortir vers la treille.
Nous passions de longues heures assis sur les parapets de ces fenêtres profitant des ombrages de la vigne.
Ce couloir ombragé entre la maison et le jardin nous servait de salle de jeux, et nous aimions selon les cas y jouer au croquet, aux boules, à l’école ou encore y faire du théâtre.Utilisant le tableau vert que nous avions reçu lors d’un précédent Noël, ma cousine Marie-Josée un été qu’elle était parmi nous, nous montrait de façon ludique comment associer des diphtongues avec différentes voyelles. Sous les dessins d’un agent de police en pèlerine, d’une mare constitué par la pluie qui tombait, et d’une machine à laver, elle nous révélait après nos vaines recherches que la solution était Flic Flaque Floc, et elle écrivait ces mots sous les dessins, nous incitant à trouver d’autres exemples illustrés comme cric crac croc ou bric brac broc.

POURSUIVIS PAR PABLO CABEDO ET TCHA TCHE

LA GROTTE DE LA VIERGE ET LES FUSILS ENTERRES

Le plus marquant de ces préparatifs, ma mère m’a confirmé par la suite lorsque je l’interrogeais, que cela s’était bien produit, avait été pour moi l’histoire des fusils dans le jardin.

Pendant longtemps, j’avais qualifié cet épisode « la grotte de la vierge et les fusils du jardin ». Dans mes souvenirs, deux moments très différents se superposaient à tort.

Il y avait d’une part cet après midi au cours duquel mon père m’avait emmené avec lui pour procéder à la visite finale de travaux qu’il avait réalisés dans la cour du presbytère pour le compte de la paroisse.

Dans le coin de cette cour qui abritait le patronage tous les jeudis après midi, il avait à la demande du curé du village réalisé une vierge dans la grotte qui servirait de point final aux processions du mois de Marie et du quinze août.

Maçon réputé pour sa capacité à travailler le ciment, mon père s’était fait une spécialité du faux bois en béton dont nombre de maisons d’Aïn-El-Arba étaient décorées, mais aussi de la réalisation de grottes aux rochers colorés imitant parfaitement les replis torturés de l’anfractuosité naturelle qui servit de décor à l’apparition de la vierge de Lourdes.

Nous étions donc, au cours de cet après midi, dans la cour déserte du presbytère mon père et moi accompagnés de Romain, une sorte de factotum de la paroisse, en train de contempler les œuvres paternelles et gloser sur la qualité symbolique et représentative de cette grotte plus vraie que nature.

J’écoutais avidement les dialogues des grands, m’imprégnant de tout ce qui se disait, goûtant avec autant d’avidité le plaisir d’avoir été admis dans cette cour à laquelle nous n’avions accès que le jeudi après midi.

Un peu à l’écart des deux adultes que j’accompagnais, je revoyais nos jeux des derniers jeudis, jeu du foulard, balle au prisonnier, délivrance, et autres saynètes auxquels l’imagination débordante des jeunes gens qui nous surveillaient nous soumettait.
Mais déjà, même dans cette collectivité rurale que nous formions, la télévision avait fait son apparition, et nous étions quelques-uns uns à chercher pendant ces après midis encadrés, des raisons d’y échapper.
Le but de ces escapades était la maison de Fernande, la gouvernante du curé et la sœur de Romain où nous pouvions regarder Mire et Disques.

Le vendredi matin, dans la cour de l’école, nous étions quelques-uns uns à snober les autres leur disant :

- tu n’as pas vu Mire et Disques ?

J’ai découvert bien plus tard la signification de Mire et Disques. Cette « émission » que nous attendions chaque jeudi était en fait la diffusion de musique pendant l’affichage de la mire qui permettait de régler les contrastes des 36000 nuances de gris qu’offrait la TV en noir et blanc.Cette mire ressemblait aux jeux de petits chevaux avec quatre branches en croix et une multitude de rectangles ou de zones géométriques présentant autant de variation de gris.
Le cavalier à la trompette sur son cheval cabré qui figurait au centre de la mire nous impressionnait particulièrement et suscitait d’interminables débats sur la raison de sa présence.
Certains allaient même jusqu’à prétendre qu’il s’agissait de David Crockett et s’approchaient de l’écran pour désigner sur l’écran une forme qui selon eux était la toque de fourrure du héros.

Cette grotte à la vierge dans la cour du presbytère s’était transportée, dans mes souvenirs, au fond de notre jardin, contre le mur de pierres jointoyées recouvert d’une vigne qui séparait notre maison de celle de Pascual Belda.

Je m’interroge encore sur la raison de cette confusion entre deux souvenirs distincts, bien identifiés dans le temps et dans les événements qu’ils concernent.

Une première raison tient sans doute au décor, les vieilles pierres du mur rappelant, de façon étrange, le décor en ciment coloré imaginé par mon père pour la grotte du presbytère.

J’avoue que l’idée d’une grotte à la vierge dans le fond de notre jardin m’a toujours paru une éventualité plausible dans cette partie éloignée du jardin propice au recueillement.

Une deuxième raison tient peut être au fait que mon père était accompagné de Romain dans un cas et de mon Oncle Joseph dans l’autre.

La confusion entre les deux personnages peut s’expliquer par une analogie formelle, leurs habitudes de grands fumeurs, et aussi leur propension à tout conceptualiser pour proposer des théories opérationnelles sur la plupart des événements les plus anodins soient-ils.

Toujours est-il que j’assistais peu avant notre départ aux efforts de mon père et de mon oncle, dans le jardin, sans grotte à la vierge, pour dégager la dalle du regard de la fosse septique enfouie sous quelques centimètres de terre, et y enterrer des fusils dont ma mère m’apprenait quelques années plus tard qu’ils appartenaient au curé.

LES FRESIAS AU BORD D'UNE RIGOLE D'EAU LIMPIDE

Dans le jardin de la maison, une rigole en ciment conduisait un filet d’eau qui accompagnait des pieds de frésias tout au long de son parcours. Accroupi au bord de ce petit ruisseau, j’observais la terre humide qui hébergeait les fleurs et une multitude de petits animaux à l’air toujours très occupés. L’odeur entêtante des fleurs m’enivrait et je relevais la tête pour regarder le grenadier qui recouvrait la rigole aux frésias de l’ombre de ses branches courbés par deux énormes fruits.

LES GRENADES RECOUSUES SUR L'ARBRE

Tous les jours, Maman venait régulièrement vérifier la progression de la maturité des grenades. Elle évoquait avec moi la salade de fruit qu’elle en ferait dans un sirop de vin sucré, qui serait mis à rafraîchir de longues heures. Elle égrenait le nom des participants. d’un prochain repas dominical qui se régaleraient de ce dessert. Elle concluait toujours cette visite aux grenades par des appréciations sur le plaisir que prendrait tel oncle ou tel cousin à cette salade de fruits qu’elle qualifiait volontiers de miraculeuse, tant ces grenades étaient énormes.
Hélas, la salade de fruits ne vit jamais le jour. J’étais à l’époque très préoccupé de la position sociale qu’occupaient mes parents dans le village. Lorsque je me rendais chez des camarades d’école, j’étais souvent embarrassé de voir la magnificence des goûters que leurs parents pouvaient organiser. Je me sentais redevable de quelque chose en arrivant souvent les mains vides ou avec des contributions que je n’estimais pas à la hauteur de ce que les autres pouvaient apporter.
Ce sentiment était tellement fort, qu’oubliant les promesses des grenades à ma mère lorsqu’elle venait rendre sa visite quotidienne, je décidais, un jeudi après midi, de les dérober sur l’arbre pour les apporter un goûter auquel j’étais invité.
Elles étaient placés sur mon ventre, sous mon petit blouson de suédine marron, les mains dans les poches raglans j’écartais les bras pour donner plus de consistance à ma silhouette et ainsi soutenir les fruits que j’avais retirés à la communauté familiale.
Les premiers mètres en descendant la rue je me sentais très fier de moi, imaginant l’effet que produirait, sur les invités du goûter, le cadeau généreux de deux énormes grenades.
Cette fois je vengerais aisément toutes ces fois où ma contribution était apparue plus que mince aux yeux des autres.
Tous les jours, Maman venait régulièrement vérifier la progression de la maturité des grenades. Elle évoquait avec moi la salade de fruit qu’elle en ferait dans un sirop de vin sucré, qui serait mis à rafraîchir de longues heures. Elle égrenait le nom des participants. d’un prochain repas dominical qui se régaleraient de ce dessert. Elle concluait toujours cette visite aux grenades par des appréciations sur le plaisir que prendrait tel oncle ou tel cousin à cette salade de fruits qu’elle qualifiait volontiers de miraculeuse, tant ces grenades étaient énormes.
Hélas, la salade de fruits ne vit jamais le jour. J’étais à l’époque très préoccupé de la position sociale qu’occupaient mes parents dans le village. Lorsque je me rendais chez des camarades d’école, j’étais souvent embarrassé de voir la magnificence des goûters que leurs parents pouvaient organiser. Je me sentais redevable de quelque chose en arrivant souvent les mains vides ou avec des contributions que je n’estimais pas à la hauteur de ce que les autres pouvaient apporter.
Ce sentiment était tellement fort, qu’oubliant les promesses des grenades à ma mère lorsqu’elle venait rendre sa visite quotidienne, je décidais, un jeudi après midi, de les dérober sur l’arbre pour les apporter comme signe de ma à un goûter auquel j’étais invité.
Elles étaient placés sur mon ventre, sous mon petit blouson de suédine marron, les mains dans les poches raglans j’écartais les bras pour donner plus de consistance à ma silhouette et ainsi soutenir les fruits que j’avais retirés à la communauté familiale.
Les premiers mètres en descendant la rue je me sentais très fier de moi, imaginant l’effet que produirait, sur les invités du goûter, le cadeau généreux de deux énormes grenades.
Cette fois je vengerais aisément toutes ces fois où ma contribution était apparue plus que mince aux yeux des autres.
Tout cela était lumineux, malgré le côté sombre de l’origine du cadeau. Ce côté sombre obscurcissait ma progression vers la moment de mon triomphe. Ma mère allait faire sa visite le lendemain matin, et la disparition des grenades sur l'arbre aux branches désormais libérées de leur poids lui sauterait aux yeux dès qu’elle entrerait dans le jardin. L’image de l’arbre redressé symbole de mon larcin, la surprise sur le visage de ma mère, son air interrogatif puis déçu, les rapides déductions qu’elle ferait sur la disparition des fruits, tout concourrait à me faire renoncer à cette folle entreprise. Mais il était, trop tard, nous étions jeudi et la salade de fruits devait être prête pour dimanche. Rapidement je décidais de retourner à la maison pour avouer le vol des grenades. Une fois dans le couloir, le courage m’abandonna, il fallait trouver une autre solution pensais je. Je courais vers le jardin pour constater que le grenadier se tenait droit sans sa charge naturelle. La solution ne consistait elle pas à remettre les fruits sur l’arbre aux mêmes endroits dont ils étaient partis ? Heureusement personne n’était dans la cour, ni par miracle dans la maison. La machine à coudre attira mon regard dans le bureau, j’y étais, il me suffisait de recoudre habilement les grenades sur l’arbre pour donner le change. Fébrilement je me livrais à cette curieuse opération sans imaginer, sur le moment, que sans le line naturel qui les reliaient à l’arbre les fruits flétriraient et ne donneraient pas le change longtemps. Je ne résonnais plus, je fis du mieux que je pus une ligature habile que je masquais minutieusement par des feuilles dont les brindilles qui les supportaient s’enroulaient autour du fil blanc.
Il faut dire e qu’en matière de fruits volés, nous avions une tradition fraternelle très éprouvée. A quelques temps de l’épisode des grenades, j’avais été entraîné par mon frère aîné Jean dans l’aventure de la pêche volée. Le pêcher du jardin avait donné cet été là des fruits d’une taille anormale, et un après midi que nous étions seuls à la maison Jean m’avait enseigné comment dérober un fruit sans attirer l’attention et surtout sans laisser d’indices qui permettraient de remonter jusqu’aux voleurs.
Dans le tiroir de la cuisine il avait longuement disserté sur le choix du couteau, l’arme du crime disait il. Devant l’arbre, il avait soigneusement soulevé le fruits et expliqué à quel endroit il fallait faire un coupe franche de façon à ce qu’elle apparut le plus naturelle possible. Nous étions parti ensuite dans le coin du mur entre la buanderie et la marabout, là où la terre était légèrement sableuse. Après avoir goulûment mangé la grosse pêche, nous avions recouvert les traces de jus sur le sol puis dans la cuisine lavé et essuyé le couteau pour le replacer exactement au même endroit dans le tiroir de la table. Nous avions ensuite enterré le noyau au pied du marabout dans la terre meuble derrière le pied de l’arbre.
Satisfaits de nous, nous avions ensuite juré que même sous la contrainte nous n’avouerions jamais notre forfait.
L’affaire de la pêche avait provoqué quelques remous familiaux, mais nous ne fûmes jamais inquiétés.
L’affaire des grenades ne se solderait pas de la même façon. Ma mère avait décidé d’en rire, mais la publicité qu’elle avait donné à mon geste en insistant sur la bêtise de la solution que j’avais imaginé avaient été la plus belle des punitions. Pour autant mes frères et moi ne renoncions jamais à mettre au point des coups fumants sans penser aux réactions qu’ils provoqueraient chez nos parents.

UNE PARTIE DE FOOT QUI DEGENERE

L'ESSAIM DE GUEPES

LA GROSSE PECHE VOLEE

Il faut dire e qu’en matière de fruits volés, nous avions une tradition fraternelle très éprouvée. A quelques temps de l’épisode des grenades, j’avais été entraîné par mon frère aîné Jean dans l’aventure de la pêche volée. Le pêcher du jardin avait donné cet été là des fruits d’une taille anormale, et un après midi que nous étions seuls à la maison Jean m’avait enseigné comment dérober un fruit sans attirer l’attention et surtout sans laisser d’indices qui permettraient de remonter jusqu’aux voleurs.
Dans le tiroir de la cuisine il avait longuement disserté sur le choix du couteau, l’arme du crime disait il. Devant l’arbre, il avait soigneusement soulevé le fruits et expliqué à quel endroit il fallait faire un coupe franche de façon à ce qu’elle apparut le plus naturelle possible. Nous étions parti ensuite dans le coin du mur entre la buanderie et la marabout, là où la terre était légèrement sableuse. Après avoir goulûment mangé la grosse pêche, nous avions recouvert les traces de jus sur le sol puis dans la cuisine lavé et essuyé le couteau pour le replacer exactement au même endroit dans le tiroir de la table. Nous avions ensuite enterré le noyau au pied du marabout dans la terre meuble derrière le pied de l’arbre.
Satisfaits de nous, nous avions ensuite juré que même sous la contrainte nous n’avouerions jamais notre forfait.
L’affaire de la pêche avait provoqué quelques remous familiaux, mais nous ne fûmes jamais inquiétés.

DADA CHANTE EN FAISANT LA LESSIVE

La buanderie, un petit bâtiment aveugle s’appuyait sur la façade intérieure de la maison, sa porte abritée par la marquise de tôle.
Cette pièce toute en longueur abritait deux énormes bacs de ciment gris délavés par l’eau et le savon. Ma mère et Dada, une vielle femme algérienne que nous employions, y faisaient la lessive tous les lundis. Dans cet endroit frais sans fenêtres, dont la seule ouverture était toujours à l’ombre, se mêlaient de multiples odeurs.
D’abord celle du savon frais et du linge humide et savonneux décuplée par la chaleur des lessiveuses et par la vue de l’eau blanchâtre comme du lait qui coulait en permanence sur le ciment des bacs.
Un gros bloc de savon de Marseille dans ses mains tatouées, Dada chantait, des mélodies psalmodiées qui sortaient de sa bouche édentée de vieille femme nostalgique.
Elle portait plusieurs couches de vêtements, et sur sa tête un turban noué qui descendait bas sur ses yeux noirs dont le regard nous donnait un sentiment très fort de tristesse résignée.
Elle s’arrêtait soudain dans ses mouvements pour nous regarder profondément, comme si elle voulait nous transmettre les angoisses de sa vie, ses pensées les plus intimes, et une folle espérance que tout continue sans changer jamais, nous ici et elle dans cette buanderie chantant en lavant notre linge sale.
Ses chants accompagnaient doucement les jours de lessive résonnant comme un bourdonnement incessant et grave tout au long des journée de lessive.

MA PREMIERE MISE EN BOUTEILLE

L’autre odeur qui régnait dans la buanderie était celle du vin, des bouchons et de l’osier qui entourait les bonbonnes de verre que Tcha Tche rapportait régulièrement des caves Sénéclauze dont il était l’un des tailleurs de vigne.
Ce salaire en nature faisait l’objet d’un traitement méticuleux par notre grand-oncle qui nous associait volontiers à la cérémonie de la mise en bouteille.
Devant les bacs en ciment, vides ces jours là, ce vin rouge d’Algérie âpre et fort, tant décrié par les œnologues surtout lorsqu’il était utilisé à couper les vins français, faisait l’objet d’un traitement digne des plus grands crûs.
Assis sur un tabouret, Tcha Tche, les jambes écartées, tenait fermement entre ses pieds une bonbonne posée au sol et y plongeait un tuyau de caoutchouc rouge attaqué par le vin. Il aspirait fortement et goulûment à l’autre extrémité du tube, en s’écriant au bout de quelques secondes, alors que nous entendions très nettement le glouglou du liquide dans la minuscule canalisation :

- Joder ! no viene ! (Merde ! ça ne vient pas !)

L’odeur forte de l’alcool emplissait la pièce au fur et à mesure que du tuyau coulait, rapidement maintenant, le liquide rouge qui emplissait régulièrement une bouteille après l’autre en faisant quelquefois un passage rapide par la bouche de l’opérateur pour éviter disait-il toute perte inutile sur le sol cimenté de la buanderie.
Le regard lointain et perdu, Tcha Tche me fixait calmement en mesurant les cinquante six années qui nous séparaient. S’interrogeait il alors sur l’image que je garderais de ce grand oncle qu’il était, et sur l’attitude que j’adopterais lorsque moi même arrivé au seuil de la vie je serais soumis au regard d’un enfant ?

LA VOLIERE AUX 21 CANARIS

J’avançais jusqu’à la porte de la cuisine dont l’entrée était protégée par une marquise en tôle ondulée, et regardais comme une dernière fois la volière dite aux 21 canaris, dont les montants en bois, et même le grillage avaient été peints en jaune.

J’ignorais que dans quelques mois nous allions procéder au lâcher symbolique de ces oiseaux, pour les libérer avant notre départ matinal pour Oran.

Mon frère Sébastien, le constructeur de la volière, avait baptisé la Juana un canari femelle gras et trapu. La Juana avait le sommet de la tête toujours ébouriffé ce qui lui donnait un air particulièrement agressif sous cette espèce de casque à plumets.

Je vois encore ce petit oiseau se rengorger en se tassant sur lui-même pour pousser des trilles qui nous enchantaient et que mon frère savait provoquer comme s’il pouvait, à la commande, exiger de la Juana qu’elle se mette à chanter.

LES DEVOIRS SUR LA TABLE DE LA CUISINE

LA LECON D'OMELETTE DE POMMES DE TERRE

Maman, la taille serrée dans son tablier de grosse toile bleue dont elle entourait deux fois les ganses autour d’elle, expliquait calmement comment cuire les pandeterre (maman ne disaient jamais pommes de terre mais pandeterre), et les oignons, dans une quantité d’huile suffisante pour éviter de brûler les aliments et permettre de garder une poêle grasse sans excès prête à recevoir les œufs le moment venu.

Nous nous tenions debout autour de la grosse cuisinière en fonte grises, serrés autour de l’opératrice en omelette. La lumière blanche de l’ampoule se reflétait sur la hotte laquée de peinture vert pale et donnait une brillance et un éclat particuliers à nos visages. Les lunettes de mon oncle Manuel se découpaient sur son visage renforçant l’acuité de son attention. Les cheveux frisés de ma tante s’évanouissait dans l’atmosphère surchauffée de la pièce.

Maman nous précisait comment Il fallait ensuite laisser cuire l’ensemble doucement sans y toucher pour que se forme la base bien cuite de l’omelette qui permettrait de la retourner sans problème.

C’était ensuite l’opération la plus délicate, le retournement de l’omelette.
Cette opération se faisait à l’aide d’un couvercle que l’on posait sur la poêle. La difficulté consistait à retourner la poêle déposer l’omelette sur le couvercle et dans le même mouvement la re-déposer, coté non cuit dans la poêle
Les mouvements devaient être parfaitement coordonnés, la main gauche devait fermement tenir le manche de la poêle pour la remettre rapidement en position horizontale, la main droite devait tout en souplesse assurer la stabilité de l’omelette sur le couvercle et la faire glisser dans la poêle. .
Sous mes yeux ébahis et le regard admiratif de Paulette, Maman réussissait une fois de plus l’opération « retournement de la tortilla » tandis que tonton Manuel s’exclamait avec son fort accent :

- Ah Ah tu vois ! ça c’est une omelette !

LE VAISSELIER ET LES TIRELIRES CHAMPIGNONS

Sur ma gauche derrière une double porte vitrée, la salle à manger aux meubles d’acajou cirés aux portes rehaussées d’un décor en métal argenté, se reposait la semaine des repas bruyants du dimanche.

Dans cette même pièce, derrière les deux grandes portes coulissantes d’un placard mural que l’on pouvait, avec beaucoup de précautions, faire glisser sans bruit aux heures chaudes de la sieste, se trouvaient nos tirelires champignons rouges, dans lesquelles nous prélevions clandestinement, mon frère Damien et moi, quelques larges pièces de vingt francs.

LES COFFRES ET LES COMPTES

LA TORIA LE DECOR ET LA MOTO ACCIDENTEE

Notre chambre, la chambre du fond, était le plus souvent le lieu où nous mettions au point notre stratégie et son mode opératoire.
Sur la table de nuit à la tête du lit où dormait mon frère Jean, étaient posés en évidence deux livres et un disque dont les illustrations de couverture formait la trame dramatique de nos jeux. L’église des saints et des martyrs de Daniel Rops était illustré par une scène de martyr très réaliste où l’on voyait un chrétien dont l’œil était crevé à l’aide d’une énorme vrille manœuvré par un bourreau sadique. L’édition de poche de Via Mala de John Knittel, montrait au premier plan de la couverture un personnage au visage verdâtre qui tenait dans sa main un énorme bâton, il sortait d’une pièce que l’on voyait au second plan, et à travers la porte ouverte, on distinguait les pieds d’un homme étendu dont on pouvait pensé qu’il avait été occis par le personnage principal dont le regard portait toute la méchanceté dont il était capable.
Sans jamais oser lire une seule ligne de ces deux ouvrages j’imaginais leur contenu
Enfin nous écoutions à l’envie le passage de Peer Gynt ou une voix sépulcrale déclamait derrière une avalanche de musique :

- Je mettrais ton sang dans un bol et je le boirais !

C’est dans cette atmosphère particulière que notre frère Jean nous soumettait aux torias pendant la sieste. La Toria était une sorte de délire qu’il simulait dans un demi-sommeil de somnambule, en prenant le soin de préciser qu’il était absolument dangereux et déconseillé de réveiller un somnambule pendant son sommeil.
Le jeu se terminait en général alors que nos cris amenait ma mère à intervenir.

LA MUSIQUE CLASSIQUE DERANGE LE SOMMEIL

NOUS ECOUTONS LA RADIO LE SOIR

UN FEU DE PLANCHES DANS LA CHEMINEE

Je regardais encore une fois l’immense bureau massif en bois rouge, et le carillon Westminster fixé sur le mur.

Le bureau comprenait une cheminée dans l’un de ses angles, cheminée que nous utilisions quelquefois les dimanches d’hiver après le repas.
Un feu vif de planches brûle, nous sommes accroupis devant l’âtre fascinés par les flammes, et la voix de notre mère nous dit :

- Ne regardez pas trop le feu vous allez faire pipi au lit

Dans ma chambre j’ouvrais une dernière fois le rabat de mon petit secrétaire pour y ranger des soldats de plombs en pensant, je ne sais pourquoi, qu’Ali Bou Basla mon concurrent direct à la première place du classement de la classe de CM1 viendrait jouer avec.

Cette pensée bizarrement ne m’attristait pas, je me disais que c’était peut être un moindre mal.

LE COUSIN ANTOINE UN APRES MIDI D'ETE

LE CINEMA DES ARABES

LA CABANE JEEP

LES DOUTES DE L'ADJUDANT SAN JUAN

C’est dans cette ambiance tendue, qu’un dimanche après midi où nous étions seuls Tcha Tche, mon cousin Christian et moi que l’armée et la gendarmerie nous questionnèrent sur les agissements de nos voisins algériens d’en face, les D….
Soupçonnés de sympathie avec le FLN, cette famille avait fait l’objet d’une perquisition qui avait permis de découvrir une cache d’armes.
Cette découverte avait été l’occasion d’une passe d’armes entre la brigadier S J et le jeune officier qui commandait le détachement militaire chargé de l’opération.
La colère du militaire avait été à son comble lorsque Tcha Tche précisa que, plusieurs fois déjà, la gendarmerie du village avait été alertée des choses bizarres qui se passaient la nuit dans la maison D.Mathilde avait attiré l’attention de Maman sur l’existence d’un signal qui devait, selon toute vraisemblance, signaler à des personnes de l’extérieur que la voie était libre et qu’elles pouvaient traverser le village dans le lit de l’Oued.
Un panier apparaissait suspendu à une fenêtre selon un rythme régulier, et sa présence coïncidait le plus souvent avec des faits qui s’étaient déroulées dans la nuit et que nous commentions le lendemain.
En général, on entendait les mouvements furtifs de groupes de personnes se déplaçant dans le lit de l’Oued que nous percevions dans la nuit malgré les précautions prises pour étouffer les bruits de leur passage.
La neutralité, chère à mes grands-parents et mes parents, montrait ses limites dans de telles situations.
Cet après midi là, nous apparaissions aux yeux de la communauté musulmane comme des français, devisant sur le trottoir devant leur maison, avec des gendarmes et des militaires, sur l’arrestation d’une famille dissimulant des armes, accusée d’accueillir ou d’aider des combattants du FLN.

LE PORTAIL OUVERT DANS L'APRES MIDI

Cela était tellement vrai que même le comportement familial changeait.
A la sortie de l’école, j’avais invité quelques amis à jouer dans la cour. Nous étions restés seuls après que mes parents étaient partis visiter des clients de l’entreprise. Ils nous avaient donné une consigne claire, ne pas quitter seuls la maison et attendre leur retour avant de nous aventurer dans les rues du village.
La fin de la soirée approchait, et certains de mes amis commençaient à s’impatienter du retard de mes parents.

Cédant à la pression, je décidais d’ouvrir le portail avec leur aide. Nous avons difficilement soulevé la lourde clenche en métal puis ouvert l’un des deux battants en bois. En ressortant nous avions veillé à laisser la clenche en métal reposer sur le battant que nous avions ouvert en le tirant au maximum de façon à donner de l’extérieur l’impression que le portail était fermé.
Nous étions sortis ensemble après nous être assurés que personne ne nous avait vus.
Chacun s’était dépêché de rentrer et moi-même après m’être assuré que chacun avait rejoint sa maison, je me précipitais vers la mienne.
Je voyais au loin un petit attroupement devant la maison et distinguait les silhouettes de mon père et de ma mère ainsi que celles des voisins immédiats, les G et les B.
La discussion semblait animée et lorsque j’arrivais, l’air de rien, je vis mon père dans une colère terrible m’apostropher en brandissant vers moi un cadre de fenêtre qu’il tenait à la main :

- Tu laisses le portail ouvert !
- Tu vas voir !
- Regardes ce cadre je vais te…

Ma mère essayait d’intervenir pour l’apaiser, mais je sentais bien qu’elle avait du mal à réussir.
Jamais je n’avais vu mon père dans une telle colère, surtout jamais je ne l’avais vu exprimer un tel ressentiment par des paroles aussi précises et violentes. Il nous avait habitué par ses attitudes muettes mais expressives à suggérer l’impatience, la joie ou la colère. Nous avions identifié ces attitudes et savions les limites qu’elles autorisaient.

ASSIS SUR LE PARAPET DU MARABOUT

Depuis le muret du Marabout on voyait également toute la cour de la maison, jusqu’aux cages des lapins contre le mur du fond.
L’aspect monumental du mur de clôture qui la ceignait, un ouvrage de maçonnerie bâti après l’achat et l’extension du bâtiment en 1950, était impressionnant. La qualité du portail central, deux énormes battants de bois renforcés de traverses de métal, procédait de la même logique. Une énorme barre de fer sertie à même le sol se terminait par un crochet et venait s’enclencher dans une boucle de métal sur les deux battants fermés, et garantissait contre toute poussée extérieure.

Sur la droite, passée le pignon sud, on devinait le jardin séparé de la maison par une treille qui protégeait de la chaleur la façade intérieure sur laquelle donnaient deux chambres, la cuisine et la salle de bains.
Les fenêtres de ces chambres étaient percées suffisamment bas pour que l’on puisse sans problème sortir vers la treille.
Nous passions de longues heures assis sur les parapets de ces fenêtres profitant des ombrages de la vigne.
Ce couloir ombragé entre la maison et le jardin nous servait de salle de jeux, et nous aimions selon les cas y jouer au croquet, aux boules, à l’école ou encore y faire du théâtre.

LA MACERATION DES COINGS

Cet après-midi là, depuis le parapet du marabout je voyais un récipient de fer blanc rempli de coings mis à dégorger avant la préparation de la confiture.

Nous avions mis les fruits dans ce récipient de fer blanc, nous disions un cacharro, une sorte de gamelle réformée dont l’usage peut être multiple, et nous l’avions rempli d’eau.
Sous nos soins vigilants, et quelques vigoureux coups des bâtons dont nous nous servions comme des louches, le dégorgement des coings avait été accéléré.
Notre curiosité nous amenant à goûter l’un de ces fruits amer et astringent après son séjour dans l’eau, nous nous demandions comment cela pouvait donner cette gelée de coings à la saveur doucereuse.