samedi, avril 08, 2006

LA NOUVELLE CROIX

Un été de l’année 1959, mon père et son jeune frère Melchior, entreprirent la rénovation du caveau familial.
Le calendrier moins chargé de l’entreprise de maçonnerie paternelle, les « événements » empêchant d’accepter des chantiers éloignés rendus dangereux par les distances à parcourir sur des routes désertes, rendaient enfin possible la réalisation de ces travaux longtemps différés.
Avec mon frère et plusieurs de mes cousins, nous avions été requis pour participer à cette noble tâche ce qui nous enchantait à l’avance.
Le projet ambitieux d’une croix en béton décorée de faïences brisées du plus bel effet, constituait le clou de cette rénovation.
Macabre pour certains, cette préoccupation d’entretien de la maison de nos morts en 1959 témoignait d’un bel optimisme, ou du moins d’une volonté avérée de braver les augures.

Mon oncle Melchior avait rempli d’eau un fut métallique dans lequel je devais laver les faïences récupérées pour en enlever les fragments de ciment.
Sur un madrier de bois, je devais ensuite briser chaque carreau avec un marteau pour, selon les conseils avisés de mon oncle, obtenir des morceaux capable de s’insérer dans l’œuvre en cours de réalisation.
Il avait lui même réalisé un coffrage de bois à même le sol et coulé le ciment sur les ferrailles constituant l’ossature de la croix.
Pour assurer la solidité de l’ensemble, les angles droits de la croix avaient été brisés ce qui allait conférer à l’ouvrage une spécificité que les exégètes familiaux qualifieraient plus tard de profondément mystique.

Des années après ces événements, je m’interroge sur l’enthousiasme mâtiné d’abnégation dont ils avaient témoigné pour fabriquer cette croix dont des photos prises en 1970 témoignent à la fois de la solidité et certainement du respect interrogatif que la construction aux angles brisés avaient du susciter chez les pilleurs de tombes.

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