samedi, avril 08, 2006

DEVANT LA MAISON

Le seuil de la maison, était souvent pour moi un lieu d’apprentissage et de découverte. Les jeudis matins, j’accompagnais souvent ma mère à la porte alors qu’elle allait ouvrir au facteur ou raccompagnait quelque visiteur venu pour traiter des affaires de l’entreprise paternelle.
Le facteur, un algérien à la mine rubiconde et au regard perçant, nous livrait toujours ses analyses sur la situation de l’Algérie.
Je me rappelle ce matin où la voix rythmée par le roulement des r de son accent il avait dit, en nous regardant fixement de ses yeux gris qui semblaient vibrer alors qu’il déroulait son argumentation :
- l’Algérie c’est comme un poulet rôti, y’en a un qui dit moi je veux la cuisse, l’autre qui dit moi aussi, l’autre y veut l’aile, un autre le blanc, et finalement le pauvre poulet rôti il est esquinté, chacun y veut un bon morceau !

Ses analyses imagées me donnaient à réfléchir et je cherchais comment il pouvait parvenir à imaginer ces exemples pertinents que je n’avais jamais entendus jusqu’alors. Ma conception des choses et des gens était heurtée par la justesse des propos dans la bouche de ce modeste facteur, fonctionnaire souvent cité comme un modèle d’intégration dans cette société franco algérienne que nous défendions contre tout mais dont l’avenir était de plus en plus difficile à imaginer avec les événements.
A l’inverse, les visites du banquier ou du comptable me laissaient des sentiments plus difficiles à cerner.La visite du comptable, Monsieur Benacoca, signifiait pour ma mère de longues heures passés assise au bureau à compulser dans tous les sens des liasses de papier correspondant aux obligations sociales et fiscales que mes parents tenaient à respecter. Dans ces moments, la silhouette fine de maman, toujours serrée dans un tablier qui accentuait son aspect frêle et fragile, se courbait sous ses épaules qui semblaient porter la charge des obligations financières que des marchés aléatoires et des clients pas toujours réguliers mettaient hors d’atteinte. Pour elle cela signifiait de longues heures de travail à sa machine à coudre pour compléter les rendements irréguliers de l’activité de maçonnerie de mon père.
Un matin alors que nous étions tous les deux devant le pas de la porte, le banquier de l’entreprise s’était arrêté pour une discussion interminable dont je ne comprenais pas la moitié des mots.
Ma mère semblait soucieuse et le banquier mal à l’aise. Cet homme grand et anguleux au regard vague derrière de grandes lunettes se tenait face à nous dans son costume gris. Il se balançait sur ses longues jambes ramenant sans arrêt en arrière ses cheveux que le vent rabattait sur ses yeux. Il fumait cigarette sur cigarette en les tenant entre son annulaire et son majeur couvrant son visage de sa main à chaque bouffée qu’il aspirait avec un bruit sourd de respiration. Excédé par sa propre respiration il agitait frénétiquement sa boite d’allumettes dans sa main libre comme s’il voulait couvrir la conversation par le bruit qu’elle produisait.
Soudain il la lança au loin sur le trottoir, je me précipitais pour la ramasser mu par je ne sais quelle intention et au moment ou j’ouvrais la boite j’entendis sa voix me dire :

- Non ! laisse les, elles sont usées !

Je constatais en effet que toutes les allumettes de la boite étaient brûlées.
Après cet incident il remonta dans sa voiture et nous quitta sans nous dire au revoir.
Je devais apprendre plus tard que cet employé indélicat avait été à l’origine de difficultés financières pour mes parents dont il gérait les comptes avec une conception particulière de l’intérêt des clients qu’ils étaient.

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